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Racine en format XXL au Pavillon Villette

Fatma Alilate 31 janvier 2022
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"Andromaque" © Sigrid Colomyès

Hermione (Marilyne Fontaine) et Oreste (Julien Léonelli) - "Andromaque" de Jean Racine © Sigrid Colomyès

Samedi 5 et dimanche 6 février, trois pièces de Jean Racine (1639-1699) sont proposées par les comédiens des Tréteaux de France, au Pavillon Villette. Ce programme a pour titre Dans le simple appareil – extrait d’un vers de la pièce Britannicus qui est comme Andromaque et Bérénice à l’affiche de ces deux journées théâtrales.

La mise en scène dynamique dans un espace épuré est signée Robin Renucci. A la tête de la compagnie itinérante des Tréteaux de France depuis 2011, il œuvre pour “redonner à entendre à tous, la langue dans toute sa beauté et sa complexité”.

Sur le tapis-plateau, l’émotion est juste

Au Pavillon Villette, le public prend place autour d’un plateau nu dont le décor est habillé d’un tapis qui change d’aspect et de forme selon la pièce. Par le dispositif quadri-frontal, les spectateurs sont au cœur de l’action. Le jeu des acteurs rend le texte accessible et la beauté de la langue, ses subtilités sont offertes avec simplicité. Les pièces Bérénice (1670) et Britannicus (1669) sont introduites par des prologues : contextes et personnages sont présentés. Cela permet de faciliter l’entrée dans cette langue du XVIIe siècle, d’habituer le public à l’écoute des douze syllabes des alexandrins. Ces deux pièces traitent du pouvoir et de l’amour. Sur le tapis-plateau, l’émotion est juste avec l’importance du regard accordé ou pas. Les acteurs s’approchent, se tournent le dos ; ces différents points de pression dans l’espace amplifient le dialogue. Pour Andromaque (1667), le tapis est circulaire avec des couleurs incandescentes – Robin Renucci a souhaité évoquer un cycle de violences.

Jean-Bernard Scotto, costumier, a choisi des vêtements contemporains pour Bérénice. Le vestiaire est plus élaboré pour Andromaque. Les tenues pour les hommes sont d’inspiration japonisante et les robes XVIIe et XVIIIe siècles sont constituées d’éléments disparates. Pour Britannicus, c’est rock’n’roll et détonnant : vestes perfecto, gros bijoux, pantalon à motifs léopard pour Agrippine (Nadine Darmon) – la terrible et ambitieuse mère de Néron (Tariq Bettahar).

Bérénice © Olivier Pasquiers

Titus (Sylvain Méallet), Bérénice (Solenn Goix), Phénice (Amélie Oranger), Rutile (Henri Payet) – “Bérénice” de Jean Racine © Olivier Pasquiers

Un programme en trois pièces

Dans Bérénice (1670), Titus (Sylvain Méallet) doit abandonner celle qu’il aime pour accomplir son devoir. Il est tiraillé entre l’amour et ses obligations : “Je voulais qu’à mes vœux rien ne fût invincible ; Je n’examinais rien, j’espérais l’impossible.” Son regard fuyant traduit sa lâcheté. Malgré ses sentiments, il décide du départ de Bérénice (Solenn Gloix). Antiochus (Julien Léonelli) qui a patienté des années ose avouer son amour à Bérénice mais elle ne l’aime pas.

Andromaque (1667) révèle des enjeux politiques et les tourments de l’amour passionnel. Les personnages sont nés demi-dieux et représentent des allégories : la Folie – Oreste (Julien Léonelli), la Jalousie – Hermione (Marilyne Fontaine), la Violence – Pyrrhus (Sylvain Méallet), la Fidélité – Andromaque (Chani Sabaty).

Le programme se termine par la pièce Britannicus (1669), tragédie historique et romaine qui relate la prise de pouvoir de Néron (Tariq Bettahar). Tyran en devenir, le jeune Néron convoite Junie (Eugénie Pouillot), la promise de son frère d’adoption, Britannicus (Christophe Luiz). Décisions politiques et pulsions libidinales se confrontent dans l’abus de pouvoir et le crime. Malgré la tension dramatique, c’est une pièce où l’on rit ! Les tenues sont décalées avec des moments d’humour dans la mise en scène. Le maître du monde est grotesque par sa bêtise, sa vulgarité. Un des intérêts de la pièce est le parallèle établi avec la Cour de Louis XIV : “Selon qu’il vous menace, ou bien qu’il vous caresse, La cour autour de vous ou s’écarte ou s’empresse. C’est son appui qu’on cherche en cherchant votre appui.”

Britannicus © Sigrid Colomyès

Junie (Eugénie Pouillot) et Néron (Tariq Bettahar) – “Britannicus” de Jean Racine © Sigrid Colomyès

Le verbe et les acteurs

Les personnages de Racine sont complexes, prisonniers de la violence des passions et de la cruauté. Le dépouillement de la scénographie valorise le verbe transmis par les acteurs. Jouer du Racine est une réelle performance qui nécessite un travail de précision. La musicalité des alexandrins doit correspondre aux situations vécues par les personnages.

Les comédiens des Tréteaux de France apparaissent dans différents rôles proposés au programme du week-end prochain : Tariq Bettahar, le confident posé et sage de la pièce Bérénice devient l’affreux Néron au look et au comportement radicalement différents dans Britannicus ; Thomas Fitterer, confident loyal dans Bérénice, joue le rôle de Narcisse, un perfide manipulateur dans Britannicus. Solenn Goix interprète de façon magistrale le rôle-titre de Bérénice, une Reine étrangère née en Palestine. Femme forte à l’apparence fragile, elle est dans la justesse, la sincérité. Elle occupe aussi un second rôle dans Andromaque dans lequel elle s’exprime très peu. Mais elle reste talentueuse, c’est certainement une des révélations du programme.

Marilyne Fontaine est une orgueilleuse Hermione qui fait condamner celui qu’elle aime car il a choisi la captive Andromaque (Chani Sabaty). On suit ses égarements et sa propre perte ; la comédienne réussit brillamment la difficile tirade marquée par de nombreux sentiments contradictoires : “Et, prête à me venger, je lui fais déjà grâce. Non, ne révoquons point l’arrêt de mon courroux : Qu’il périsse !”

Andromaque © Sigrid Colomyès

Céphise (Solenn Goix) et Andromaque (Chani Sabaty) – “Andromaque” de Jean Racine © Sigrid Colomyès

Tout un week-end, les trois pièces de Racine seront jouées “dans le simple appareil”. Le dispositif scénique est au plus près des spectateurs. C’est au Pavillon Villette, ce bel endroit à l’architecture particulière dont l’espace central est de forme orthogonale, que seront représentés quinze actes en alexandrins. Les acteurs, sous la direction de Robin Renucci, sont épatants, ils réalisent une sacrée performance.

Fatma Alilate

Le Centre dramatique national Les Tréteaux de France est itinérant : il n’a ni lieu fixe, ni territoire précis. Il produit de grandes œuvres théâtrales, les diffuse sur tous les territoires et expérimente de nouvelles formes de création. En fondant Les Tréteaux de France en 1959, Jean Danet a voulu porter le théâtre là où il n’était pas. L’intérêt de cette expérience ne tarde pas à être reconnu par l’État qui en fait un Centre dramatique national en 1971. Les Tréteaux de France deviennent ainsi une des institutions incontournables de la décentralisation culturelle. Robin Renucci en est le directeur depuis 2011. Sous sa direction, Les Tréteaux de France poursuivent leur mission de Centre dramatique national itinérant, sous la bannière d’une seule et unique conviction : création, transmission, formation et éducation populaire doivent se conjuguer et se réinventer ensemble.

https://www.treteauxdefrance.com/

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